écrire
une corrélation entre variation du magnétisme terrestre et changement
climatique : publiée en janvier par la revue Earth and Planetary
Science Letters ( EPSL), l'étude conduite par une équipe de chercheurs
français menée par Vincent Courtillot, directeur de l'Institut de
physique du globe de Paris (IPGP), n'avait pas à l'époque défrayé la
chronique. Elle fait, aujourd'hui, l'objet d'une virulente passe
d'armes. Dans un article posté mardi 18 décembre sur RealClimate, un
blog animé par des climatologues américains, Raymond Pierrehumbert,
professeur de géosciences à l'université de Chicago, pose la question
de savoir si ces travaux « franchissent la ligne séparant l'erreur
simple de la tromperie active ».
L'affaire n'aurait guère eu
d'ampleur si les auteurs de ces travaux, en particulier Vincent
Courtillot et Jean-Louis Le Mouël, proches de Claude Allègre, ne
comptaient parmi les quelques rares scientifiques qui continuent
d'exprimer des doutes sur la responsabilité humaine dans le changement
climatique. Pour y opposer, par exemple, des explications fondées sur
la variabilité naturelle de l'activité solaire ou du géomagnétisme.
Les
principaux griefs formulés contre le travail de M. Courtillot et de ses
coauteurs ont été adressés à la revue EPSL, sous forme d'un «
Commentaire » - litote qui désigne, dans le jargon des revues savantes,
une communication contestant des travaux déjà publiés. Signé par
Edouard Bard (Collège de France) et Gilles Delaygue (Cerege), cette
réponse formelle a été revue, acceptée par l'éditeur d 'EPSL et publiée
en ligne sur le site Internet de la revue, en attendant une publication
formelle et définitive.
Parmi les erreurs relevées, deux
revêtent une gravité particulière. Un des graphiques exhibés par M.
Courtillot et ses coauteurs montre la correspondance entre les
variations de quatre données : celle de la température moyenne globale
d'une part, celle de l'éclairement du soleil et celles du champ
magnétique terrestre en deux points du globe. Les quatre courbes
apparaissent parfaitement corrélées.
Mais ce que les auteurs
présentent comme la variation de la température moyenne terrestre est
en réalité la variation de la température estivale des continents, dans
les régions de l'hémisphère Nord de latitude supérieure à 20°. Quant à
la variation de l'irradiance du Soleil, il s'agit en fait d'un modèle
de variation de la fraction des ultraviolets du spectre solaire - de
surcroît invalidé en 2002.
Ces deux fautes étaient relevées dans
une « note ajoutée aux épreuves », à la fin du commentaire de MM. Bard
et Delaygue. Or cette note, très embarrassante pour M. Courtillot, a
disparu de la version définitive du Commentaire après être demeurée en
ligne pendant un mois, accessible à toute la communauté scientifique. «
Des changements étranges ont eu lieu sous la direction de l'éditeur
responsable, Robert Van der Hilst. Il a effacé la «note ajoutée aux
épreuves» de la version finale du commentaire de Bard et Delaygue,
écrit M. Pierrehumbert. Bard et Delaygue ne l'ont découvert qu'en
recevant les épreuves de leur texte. » Ce type de coupe, très
inhabituel dans les revues savantes, soulève lui aussi le soupçon,
d'autant que, comme le rappelle M. Pierrehumbert, M. Van der Hilst,
professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), est
également chercheur affilié à l'IPGP. Confirmant ces informations, M.
Bard refuse de les commenter.
Les « climato-sceptiques »
français n'en sont pas à leurs premières erreurs. Au cours d'un débat
organisé par l'Académie des sciences en mars, Jean-Louis Le Mouël avait
déjà affirmé que la variation de l'éclairement du Soleil était du même
ordre (en W/m2) que l'effet du CO2 dans le bilan énergétique de
l'atmosphère terrestre. Cette affirmation était fondée sur deux
erreurs. D'abord sur la confusion entre la surface d'un disque et celle
d'une sphère (Le Monde du 15 mars). Ensuite sur l'oubli du fait que la
Terre réfléchit une part du rayonnement qu'elle reçoit. L'assertion de
M. Le Mouël aurait ainsi été recevable si la Terre était un disque
plat, noir, présentant toujours la même face au Soleil...
La
virulence de la polémique actuelle est à la mesure de l'envergure de M.
Courtillot. Proche et fidèle de Claude Allègre, scientifique de
renommée mondiale dans sa discipline, personnalité influente, il est
non seulement directeur de l'IPGP, mais aussi président du conseil
scientifique de la Ville de Paris, professeur d'université, membre de
l'Académie des sciences. Il a aussi, dans le passé, exercé les
fonctions de conseiller spécial de M. Allègre lorsque celui-ci était
ministre de l'éducation. Avant d'en être le directeur de la recherche,
c'est-à-dire d'être en mesure de peser sur les enveloppes budgétaires
des laboratoires publics. « Souffrant », M. Courtillot n'était pas en
mesure, mardi 18 décembre, de réagir à ces informations.
Stéphane Foucart